Proposition de création d’un délit de délaissement de l’animal

Ecrit par Graziella Dode
30 mai 2022

Dans le cadre du diplôme d’université en droit animalier obtenu par Me DODE, une proposition de réforme en droit animalier a été présentée au jury.

Celle-ci a été classée finaliste du concours Jules Michelet organisé par la faculté de droit de Limoges.

Voici les éléments expliquant la nécessité de créer un nouveau délit : le délaissement de l’animal domestique.

Introduction

Auparavant jugés eux-mêmes par les tribunaux, les animaux, êtres vivants sensibles, demeurant soumis au régime des biens, font désormais l’objet d’une protection pénale générale, complétée par des dispositions spéciales, qui s’est renforcée progressivement.

Parmi les textes majeurs ayant construit cette protection figure la loi du 2 juillet 1850 dite Loi Grammont : elle réprime de peines contraventionnelles les mauvais traitements envers les animaux domestiques exercés publiquement et abusivement. Puis, avec le décret n° 59-105 du 7 septembre 1959, les mauvais traitements deviennent punissables même en l’absence de publicité, même s’ils peuvent être justifiés en cas de nécessité. La loi n° 63-1143 du 19 novembre 1963 créé ensuite le délit réprimant les actes de cruauté commis envers les animaux. Enfin, la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature créé l’infraction d’abandon, étend la répression prévue pour les actes de cruauté aux sévices graves, et énonce que « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». L’animal est ainsi de plus en plus protégé pour lui-même et moins en tant qu’élément du patrimoine de son propriétaire.

De nombreuses incohérences existent cependant dans les dispositions pénales relatives aux animaux au sein de notre droit. Ils sont tantôt protégés, tantôt exclus d’une protection des actions de l’homme justifiées par des traditions, des loisirs ou des modes de vie et consommation.

Seuls les animaux domestiques, apprivoisées ou tenus en captivité bénéficient d’une protection pénale en application des dispositions du Code pénal et du Code rural et de la pêche maritime. Alors que l’animal sauvage en est exclu, si celui-ci figure sur la liste des espèces protégées, il bénéficiera d’une protection renforcée en application des dispositions du Code de l’environnement.

Dans le Code pénal, aucun livre n’est consacré aux infractions commises à l’encontre des animaux. Les dispositions relatives aux biens peuvent s’appliquer. Ils sont également visés dans le régime des peines et la définition des circonstances aggravantes, l’animal servant parfois d’arme par destination. Le Livre V « Des autres crimes et délits » vise trois catégories d’infractions dans son Titre II « Autres dispositions » : les sévices graves ou actes de cruauté, l’abandon, ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal. Le Code pénal prévoit également des contraventions de 4e classe en cas de mauvais traitements et des contraventions de 5e classe en cas d’atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité d’un animal.

La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a réalisé un toilettage des dispositions pénales relatives aux animaux, notamment en relavant le seuil des peines encourues, en introduisant des circonstances aggravantes des sévices graves ou actes de cruauté, et transformant la contravention d’atteinte à la vie de l’animal en délit.

Certes, l’adoption de cette loi est une étape supplémentaire en faveur de la protection pénale de l’animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité. Elle demeure néanmoins insuffisante puisque des incohérences dans la définition des incriminations et de leurs applications perdurent, avec un risque de cumul de qualifications.

Il convient en outre de rappeler une dichotomie existante en droit pénal concernant l’élément matériel de l’infraction, manifestation concrète des faits incriminés, qui peut se traduire soit par la réalisation d’un acte positif (une commission), soit par la réalisation d’un acte négatif (une omission, une abstention). L’infraction par commission est une violation qui requiert un acte positif de l’auteur, ayant réalisé un acte prohibé par la loi. Cette catégorie d’infractions sanctionne l’accomplissement d’un acte violant une obligation de ne pas faire. A l’inverse, l’infraction d’omission est une infraction qui repose sur une attitude passive de l’auteur, lequel est sanctionné pour ne pas avoir satisfait une obligation de faire.

L’étude de la jurisprudence permet de constater que les actes d’omission consistant en la privation de nourriture, d’eau et de soins, sont réprimés soit sur le fondement du délit de sévices graves ou actes de cruauté, soit sur celui du délit d’abandon, soit sur celui de la contravention de mauvais traitements, alors que les définitions de ces derniers induiraient qu’ils ne soient constitués qu’en présence d’actes de commission (I).

Le législateur doit intervenir pour clarifier le périmètre de ce type d’actes d’omission, en créant un délit distinct incriminant ce qui relève plutôt d’un délaissement de l’animal (II).

§ 1 – Les écueils dans l’application des incriminations protégeant l’animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité en cas de délaissement

La protection de l’animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité est assurée en droit pénal français par plusieurs incriminations, qui peuvent se rapprocher l’une de l’autre, à savoir les sévices graves ou actes de cruauté, l’abandon et les mauvais traitements.

Il existe enfin une incrimination spéciale dans le Code rural et de la pêche maritime, à l’article R. 215-4, I, réprimant d’une contravention de 4e classe le fait pour toute personne qui élève, garde ou détient des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou en captivité, 1° De les priver de la nourriture ou de l’abreuvement nécessaires à la satisfaction des besoins physiologiques propres à leur espèce et à leur degré de développement, d’adaptation ou de domestication ; 2° De les laisser sans soins en cas de maladie ou de blessure ; 3° De les placer et de les maintenir dans un habitat ou un environnement susceptible d’être, en raison de son exiguïté, de sa situation inappropriée aux conditions climatiques supportables par l’espèce considérée ou de l’inadaptation des matériels, installations ou agencements utilisés, une cause de souffrances, de blessures ou d’accidents.

Ces dispositions visent non seulement les éleveurs d’animaux mais aussi plus généralement tout gardien ou détenteur, de sorte qu’elles se rapprochent des infractions d’abandon et des mauvais traitements. Les mêmes peines complémentaires que pour les mauvais traitements sont d’ailleurs prévues. Cependant, à la différence de l’abandon et des mauvais traitements, cette infraction n’exige pas de caractériser l’intention de son auteur. Alors que le principe de spécialité devrait prévaloir, ces dispositions sont peu appliquées en jurisprudence compte tenu de leur technicité et d’une préférence théorique, et pratique, pour les dispositions générales du Code pénal.

La distinction entre l’ensemble de ces infractions n’est ainsi pas aisée, ce qui peut expliquer une jurisprudence disparate. La jurisprudence réalise une application au cas par cas de ces dispositions, parfois de manière inappropriée compte tenu, d’une part, de la multiplicité des textes d’incrimination, et, d’autre part, de leurs contenus parfois imprécis et se chevauchant. Pourtant, les juges doivent pouvoir retenir l’incrimination la plus adaptée aux faits poursuivis.

Ainsi, le délit d’atteinte intentionnelle à la vie de l’animal sera constitué si des actes de violence autres que des sévices ont été commis et que leur auteur a eu l’intention de faire mourir l’animal.

S’agissant des mauvais traitements, suffisent pour les caractériser la conscience et la volonté d’accomplir des mauvais traitements à l’animal. La démonstration de cette intention est néanmoins plus délicate en cas de comportements d’omission. Pour autant, la jurisprudence retient cette qualification en cas d’omissions dans des cas où des animaux sont délaissés.

Le délit de sévices graves et actes de cruauté sera constitué si est constatée l’existence de sévices ou actes de cruauté accomplis intentionnellement dans le but de provoquer la souffrance ou la mort, c’est-à-dire si de tels actes sont commis avec une certaine perversité, et aussi lorsqu’ils ont entraîné la mort même sans intention de la donner. Ils se distinguent des mauvais traitements en ce qu’ils s’inspirent d’une méchanceté réfléchie et traduisent l’intention délibérée d’infliger des souffrances. A la lecture du texte du délit de sévices graves et actes de cruauté, l’élément matériel de l’infraction semble caractérisé par des actes de commission, c’est-à-dire une action « positive » de l’auteur. Pourtant, la jurisprudence retient parfois des omissions, notamment en cas de privation d’eau, de nourriture et de soins à l’animal.

Quant au délit d’abandon, au sens classique de ce terme, il consiste en la réalisation d’actes de commission, à savoir de se débarrasser définitivement et durablement de l’animal. La jurisprudence retient cependant là encore des omissions pour caractériser ce délit. Il a ainsi été jugé que l’abandon implique une volonté de se désintéresser du sort des animaux, souvent dans des cas où les animaux ont été laissés livrés à leur sort sans soins ni nourriture suffisante, ce qui suppose de prouver une intention de l’auteur de se désintéresser définitivement d’eux en les privant de soins et en connaissance de cause. Le délit d’abandon se consomme en l’absence de tout résultat c’est-à-dire d’atteinte à l’intégrité physique de l’animal et sans intention de voir souffrir l’animal, contrairement au délit de sévices graves et actes de cruauté qui implique l’existence de blessures constatables et intentionnelles.

Il ressort des éléments qui précèdent que le délaissement de l’animal est tantôt réprimé sur le fondement de l’infraction des sévices graves ou actes de cruauté, de celui de l’abandon ou de celui des mauvais traitements, ce qui n’a pas lieu d’être et entretient une confusion dans le traitement de la répression des actes commis à l’encontre des animaux visés par le Code pénal.

§ 2 – La création d’un délit de délaissement de l’animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité

Afin de rétablir une cohérence, et d’éviter l’application aléatoire selon les tribunaux de tel ou tel délit ou contravention en fonction des faits commis, pouvant parfois conduire à des relaxes, les infractions précitées, pour être consommées, devraient viser essentiellement des actes positifs de leur auteur, afin d’isoler les actes d’abstention consistant en la privation de nourriture, d’eau et de soins à l’animal.

Une nécessaire redéfinition notamment de l’abandon – délit souvent retenu par les juges en cas de privation d’eau, de nourriture et de soins à un animal – devrait ainsi être opérée par la jurisprudence afin de circonscrire l’application de ce délit à une volonté de ne plus devoir prendre en charge un animal, de s’en déposséder définitivement et durablement.

Il s’agirait donc de réduire l’application de ce délit à des actes de commission tels que ceux visés dans le rapport devant l’Assemblée nationale de M. Loïc DOMBREVAL. Des circonstances aggravantes de l’abandon y étaient envisagées, toutes consistant en des actes de commission, dont le législateur ou la jurisprudence pourraient s’inspirer afin de redéfinir avec précision cette incrimination : entraver l’animal, dans une zone non urbaine ou peu fréquentée, de façon à ce qu’il ne puisse se libérer de lui-même, sans signaler d’une façon ou d’une autre sa localisation ; entraver l’animal ou l’enfermer dans des conditions dangereuses pour sa santé et menaçant sa vie ; abandonner l’animal à proximité ou au sein d’une infrastructure de transport ; abandonner l’animal à l’intérieur d’un local ou d’une habitation, à l’intérieur de tout véhicule de transport ou dans une cage ou une boîte de transport, sans possibilité d’en sortir par ses propres moyens ; abandonner, par entrave, enfermement ou en situation de divagation, l’animal à proximité d’un danger immédiat ou dans un environnement hostile ; abandonner un animal dont l’état de santé, l’âge, le sevrage, l’infirmité, la gestation ou toute autre caractéristique constitutive de son être ne lui permet pas d’assurer seul sa survie.

Les omissions consistant en la privation d’abreuvement, de nourriture ou de soins devraient faire l’objet d’une nouvelle infraction autonome, le délit de délaissement de l’animal.

La consommation du délit de délaissement n’impliquerait pas l’existence de blessures sur l’animal, une dégradation de sa santé ou sa mort. Celles-ci ne seraient pas une condition de consommation de l’infraction, laquelle ne serait donc pas conditionnée à un résultat.

Ce délit consisterait, non pas à se déposséder de l’animal, mais à se désintéresser de lui, à ne plus s’en occuper en le laissant livré à lui-même dans des conditions le mettant en danger pour sa santé, et qu’il ne puisse subvenir seul à ses propres besoins, même temporairement.

Plusieurs décisions rendues sur le fondement des infraction précitées, et notamment du délit d’abandon, relèveraient du délit de délaissement de l’animal, plus approprié à ce type de faits qui consistent tous en un désintéressement vis-à-vis de l’animal, mettant en danger ce dernier.

La création du délit de délaissement pourrait être envisagée en ajoutant un alinéa supplémentaire aux dispositions de l’article 521-1 du Code pénal qui réprime déjà les sévices graves ou actes de cruauté et l’abandon.

Il conviendrait enfin de permettre aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l’objet statutaire est la défense et la protection des animaux, ainsi qu’à toute fondation reconnue d’utilité publique, d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l’infraction de délaissement d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité. L’article 2-13 du Code de procédure pénale devra être modifié en ce sens.

Les présentes propositions sont ainsi formalisées dans le projet de loi qui suit :

Proposition de loi visant à la création d’un délit de délaissement de l’animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité

Article 1

L’article 521-1 du Code pénal est ainsi modifié :
Après l’alinéa 11, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Est également puni des mêmes peines le délaissement d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité ».

Article 2

A l’article 2-13 du Code de procédure pénale, après les mots « l’abandon », il est inséré les mots « le délaissement ».

Vous avez besoin de renseignements juridiques, de conseils sur un litige en cours ou à naître :

Contactez votre avocat :

Actualités

Votre avocat vous informe des actualités à ne pas manquer :

Le certificat de détention d’équidés

Le certificat de détention d’équidés

Le certificat de capacité de détention d'équidés est une autorisation administrative délivrée par les services de l’État, qui atteste que son titulaire dispose des compétences nécessaires pour assurer le bien-être des équidés qu'il détient. Ce certificat est...

La taxe canine, une niche fiscale qui a les crocs

La taxe canine, une niche fiscale qui a les crocs

Mise en place dans des pays qui ont eu du flair comme l'Allemagne ou la Suisse, la taxation des propriétaires de chiens pourrait rapporter croc. De nombreuses questions se posent quant à l’instauration d’une taxe canine en France. Ainsi, pourquoi une telle taxe ne...

À propos de l’auteur

Votre avocat vous informe des actualités à ne pas manquer :

Graziella Dode

Depuis toujours sensibilisée et engagée dans la cause animale, c’est de manière passionnée que votre avocate s’est engagée en dédiant son activité professionnelle aux animaux et aux professionnels du secteur animalier.

Commentaires

Votre avocat vous informe des actualités à ne pas manquer :

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *