L’animal de compagnie, le grand oublié des procédures en matière familiale ?
Plus pour très longtemps.
Les évolutions en faveur des droits des animaux se poursuivent dans cette « décennie de la conquête des droits des animaux », comme j’aime souvent la nommer.
Une prérogative supplémentaire pour le JAF
La loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate est entrée en vigueur ce jour.
Elle complète l’article 515-11 du Code civil s’agissant des compétences du juge aux affaires familiales (JAF) qui délivre une ordonnance de protection : il peut décider d’attribuer à la partie demanderesse (victime des violences) la jouissance de l’animal de compagnie détenu au sein du foyer.
Concrètement, cela signifie que la personne pourra garder l’animal de compagnie avec elle.
Elle n’aura donc plus peur de lancer une procédure d’urgence afin que l’auteur des violences ne puisse plus s’approcher d’elle, voire de ses enfants, sans craindre pour le sort de l’animal.
Les compétences du JAF en cas de violences intrafamiliales
Pour rappel, lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu’il n’y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu’il n’y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le JAF peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection (article 515-9 du Code civil).
L’article 515-11 du Code civil liste les mesures que peut prendre le JAF dans son ordonnance de protection, parmi lesquelles : interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le JAF, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ; lui interdire de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le JAF dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie victime des violences ; ou encore d’interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme.
Le JAF statue également sur la résidence séparée des époux. La jouissance du logement conjugal est attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint violent.
Désormais, un alinéa 3 bis prévoit que le JAF est compétent pour « Attribuer à la partie demanderesse la jouissance de l’animal de compagnie détenu au sein du foyer ».
Il appartient désormais aux avocats et aux juges intervenant dans ce type de procédure de ne pas oublier les éventuels animaux de compagnie présents au foyer, afin de les protéger eux aussi dans le cadre de l’ordonnance de protection qui sera rendue. L’intérêt de l’animal, être vivant et sensible, doit être privilégié.
Quelles étaient les compétences du JAF concernant les animaux avant cette loi ?
Jusqu’à présent, le JAF était compétent pour le divorce, la séparation de corps et leurs conséquences, la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, incluant donc l’attribution de l’animal de compagnie à l’un ou l’autre des membres de l’ancien couple (article L213-3 2° du Code de l’organisation judiciaire).
Dans le cadre du contentieux de l’urgence, le JAF n’était pas compétent pour statuer sur le sort de l’animal lorsqu’il délivrait une ordonnance de protection envers une victime :
« Lorsqu’il est saisi d’une demande de protection sur le fondement des articles 519-9 et 519-10, le juge aux affaires familiales ne peut prononcer que les mesures limitativement énoncées à l’article 515-11 du Code civil (cassation de l’arrêt ayant condamné le mari à verser des dommages-intérêts pour avoir provoqué de façon abusive l’hospitalisation sous contrainte de son épouse – Civ. 1re, 13 juill. 2016, n° 14-26.203).
Les dispositions de la loi du 13 juin 2024 renforcent désormais les prérogatives du JAF dans un contentieux de l’urgence où l’animal de compagnie, bien souvent au cœur du litige familial n’était pris en considération, et les enjeux pour les parties sont d’importance.
Le podcast Avo-Cat’e Justice pour les animaux aborde ce sujet dans l’épisode dédié au lien entre la maltraitance humaine et la maltraitance animale (interview de l’AMAH) :
Ecoutez l’épisode 4 du podcast
Un pas en avant
Cette nouveauté résulte d’un amendement du Sénat dont l’objet est de renforcer la protection des victimes de violence intrafamiliale, d’une part en leur permettant de se mettre à l’abri sans craindre que l’animal de compagnie resté au foyer subisse des violences et, d’autre part en les libérant d’un chantage affectif sur l’animal qui pourrait les retenir de solliciter une ordonnance de protection.
Il est rappelé sur le site du Sénat que les animaux de compagnie du foyer sont un moyen de pression et de chantage pour l’auteur des violences qui peut menacer de représailles sur l’animal et renforcer ainsi son emprise et son harcèlement sur la victime.
Des études américaines estiment que 89 % des femmes ayant un animal de compagnie ont rapporté que celui-ci avait été menacé, blessé ou tué par leur partenaire violent et que 48 % des victimes de violences domestiques retardent leur départ en raison de l’animal.
En France, en 2020, les forces de sécurité ont enregistré 159 400 victimes de violences conjugales commises par leur partenaire, hors homicides (dont 139 200 femmes). Près d’un foyer sur deux possède un animal de compagnie et près de 70 % des sondés affirment considérer leur animal domestique comme un membre de la famille à part entière.
Cette situation n’est donc aucunement anecdotique, est-il rappelé.
Cet amendement proposait donc d’étendre la compétence du juge au sort de l’animal de compagnie du foyer afin que les victimes ne se sentent pas contraintes de rester en raison de menaces ou de violences pouvant s’exercer à l’encontre de leur animal, instrument de manipulation et de chantage.
Le juge se prononcera alors sur l’attribution de la garde de l’animal indépendamment de la propriété.
Commentaire
Ces dispositions peuvent être saluées car elles apportent un véritable outil pour le juge et les parties dans la prise en compte des intérêts d’un membre à part entière du foyer, l’animal de compagnie.
Il est cependant regrettable que le législateur ne tienne toujours pas compte du nouveau statut de l’animal de compagnie, qualifié d’être vivant et sensible depuis 2015 (Loi n° 2015-177 du 16 février 2015), afin de lui créer un régime juridique dédié.
Les termes “attribuer”, “jouissance” et “détenu” employés dans les nouvelles dispositions de l’article renvoient encore à l’application du régime juridique des biens. Or, il est en effet évident que le régime des biens est inadapté à sa nature.
Lola JAHAN, Juriste stagiaire
Graziella DODE, Avocat
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