Le sanglier (Sus scrofa), espèce sauvage emblématique, occupe une place particulière dans le droit français. Souvent chassé en raison de sa présence dans les milieux naturels, mais parfois adopté comme animal de compagnie, la détention du sanglier soulève d’importantes interrogations : doit-il être considéré comme un animal sauvage, un animal de compagnie, ou reste-t-il uniquement un gibier chassable ?
Le statut juridique du sanglier est complexe, nourri par des questions de gestion de la faune et des enjeux de protection animale. Le récent émoi suscité par l’affaire de la laie Rillette, recueillie par un particulier, illustre bien cette cette ambiguïté.
I) Le sanglier face au droit : un statut multiple
1. Une cible sauvage
Ne figurant pas sur la liste des animaux domestiques établie par l’arrêté du 11 août 2006, le sanglier est dès lors considéré comme une espèce non domestique, autrement dit sauvage.
Le Code de l’environnement définit ces espèces par la négative, comme celles n’ayant pas subi de modification par sélection de la part de l’homme (art. R. 411-5). À ce titre, le sanglier fait partie de la faune sauvage, inscrite dans notre patrimoine naturel (Livre IV).
Toutefois, il ne bénéficie pas du statut général des espèces de la faune protégées (art. L. 411-1, Code de l’environnement). Bien au contraire, la loi prévoit expressément sa destruction à deux égards :
D’une part, le sanglier figure parmi les espèces dites « gibier », dont la chasse est autorisée, conformément à l’arrêté du 26 juin 1987. Cette classification permet l’abattage de sangliers sauvages, pendant des périodes définies par l’autorité administrative (art. L. 424-2, Code de l’environnement).
Néanmoins, certaines interdictions encadrent cette pratique. Tout d’abord, les particuliers ne sont pas autorisés à détruire les sangliers (art. L. 427-9, Code de l’environnement). Ensuite, la détention pour la vente et l’achat des sangliers vivants est interdite (art. L. 427-9). Puis, la destruction et l’enlèvement de marcassins sont prohibés (art. L. 424-10).
D’autre part, le sanglier peut être classé comme une espèce susceptible d’occasionner des dégâts (ESOD), un statut qui a remplacé l’ancienne qualification de « nuisible ». En tant qu’espèce pouvant nuire à certaines activités humaines, il est permis de les détruire. Les ESOD sont répartis en trois groupes, conformément à l’article R. 427-6 du Code de l’environnement :
- Groupe 1 : comprend les espèces non indigènes, pour lesquelles la liste est établie à l’échelle nationale et fixée chaque année par arrêté ministériel (arrêté du 2 septembre 2016) ;
- Groupe 2 : comprend les espèces indigènes, dont la liste est établie à l’échelle départementale et fixée tous les trois ans par arrêté ministériel (arrêté du 3 août 2023) ;
- Groupe 3 : comprend les espèces indigènes présentant un fort intérêt cynégétique, dont la liste est établie à l’échelle départementale et fixée chaque année par arrêté préfectoral. Le sanglier fait systématiquement partie de ce groupe.
Ainsi, selon les périodes et les départements, le sanglier sauvage peut légalement être chassé et détruit en raison de sa potentielle « nuisance » pour les hommes ou pour le loisir des chasseurs.
2. Un compagnon de vie sous le couperet
Pour accueillir un animal sauvage à des fins de compagnie, il convient de respecter les règles énoncées à l’arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques. Il prévoit plusieurs régimes selon l’espèce concernée et le nombre d’animaux détenus :
- Détention libre : aucun formalisme requis, l’animal peut être détenu sans obligation de déclaration ni de justificatif particulier ;
- Détention soumise à déclaration : le détenteur doit signaler la présence de l’animal à la préfecture, ce qui donne lieu à la délivrance d’un récépissé par l’administration qui peut toutefois interdire la détention en cas de non-respect des obligations légales ;
- Détention soumise à certificat de capacité et autorisation d’ouverture d’établissement : le détenteur doit justifier de compétences particulières attestées par un certificat de capacité, pouvant être accompagné d’une autorisation d’ouverture d’établissement, notamment lorsque la détention s’inscrit dans le cadre d’une activité professionnelle.
S’agissant du sanglier, l’arrêté prévoit que la détention d’un seul spécimen par un particulier est possible sous réserve d’obtenir une déclaration préalable auprès de la préfecture du département (annexe 2 de l’arrêté). À compter de deux spécimens, il faut obtenir un certificat de capacité et une autorisation d’ouverture.
Le préfet dispose du pouvoir discrétionnaire d’accepter ou de refuser cette détention. Il peut notamment émettre un refus s’il estime que l’animal a été prélevé illégalement dans la nature (L. 424-10, Code de l’environnement) ou si sa détention présente un risque sanitaire ou nuit à la sécurité publique.
En cas d’opposition du préfet, 3 solutions peuvent être envisagées :
- Si le sanglier n’est pas dépendant de l’Homme, il peut être transféré vers un centre de soins afin d’être réhabilité pour un retour à la vie sauvage ;
- S’il est habitué à la présence humaine, une place dans un refuge peut lui être trouvée. Malheureusement, ces structures sont souvent saturées ;
Si aucun refuge ne peut l’accueillir, seule l’euthanasie est envisagée.
II) Détenir un sanglier de compagnie : un parcours semé d’embuche
1. La forêt des contradictions juridiques
Les animaux ne figurant pas sur la liste des animaux domestiques établie par l’arrêté du 11 août 2006, ne peuvent, en principe, être détenus par l’homme puisqu’ils sont considérés comme des animaux sauvages et, à ce titre, libres.
Toutefois, il n’est pas rare que des particuliers, des éleveurs ou des professionnels détiennent des animaux sauvages, qui deviennent alors des animaux dits appropriés, apprivoisés ou captifs.
Dans ce cadre, les dispositions des Codes civil, pénal et rural leur sont applicables, notamment celles relatives à la protection contre la maltraitance animale et au respect des impératifs biologiques de leur espèce.
Pourtant, le sanglier peut être détenu par l’homme sans bénéficier pleinement de ces protections, puisqu’il a été démontré que sa mise à mort est autorisée.
C’est dans ce contexte que la détention d’un sanglier « de compagnie » – une situation rare en pratique – se heurte à de nombreuses restrictions administratives.
En effet, l’administration oppose un refus systématique, en invoquant soit l’interdiction de prélever un animal dans son milieu naturel (art. L. 424-10, Code de l’environnement), soit l’exigence selon laquelle la détention d’un mammifère sauvage n’est permise que si l’animal provient d’un élevage agréé, garantissant une origine légale et traçable.
Néanmoins, pour contester ce refus, les requérants invoquent l’arrêté du 8 octobre 2018, qui autorise la détention d’un spécimen sous réserve d’une simple déclaration.
Cette situation met en lumière une contradiction flagrante : d’une part, l’administration s’appuie sur la protection des animaux sauvages — tout en autorisant leur chasse et leur régulation — et, d’autre part, les particuliers, souvent motivés par la volonté de sauver l’animal, se fondent sur la réglementation spécifique qui permet des exceptions à la détention de l’animal sauvage.
Ces contradictions soulèvent des interrogations : lorsque deux arguments juridiques semblent fondés, quel est celui qui doit prévaloir ? Comment concilier la volonté de protéger les animaux sauvages et les possibilités de dérogations prévues par la réglementation ?
Des affaires récentes, comme celles de Toto et Rillette, des sangliers recueillis par des particuliers, témoignent d’une évolution du droit, qui, tout en prenant en compte les impératifs juridiques, semble de plus en plus se tourner vers la prise en compte du bien-être de l’animal.
2. Rillette, le sanglier domestique qui ne finira pas en terrine
Rillette, un marcassin trouvé parmi des poubelles, a été recueilli par une éleveuse équestre, Élodie Cappé, dans l’Aube. Après avoir déclaré sa détention auprès du préfet, celui-ci s’y est opposé, menaçant Rillette d’euthanasie.
Faute de place disponible dans un parc spécialisé, l’éleveuse a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en référé pour contester cette décision. Mi-janvier, le juge des référés a suspendu l’arrêté préfectoral et ordonné un réexamen du dossier sous un mois, évoquant une possible régularisation de cette situation.
Il a également rappelé que la détention d’animaux non domestiques n’exige pas qu’ils soient nés en captivité.
Ce 4 février, le préfet a finalement délivré le récépissé sollicité par l’éleveuse qui autorise sa détention. Cette régularisation est soumise à des conditions strictes pour, notamment, prévenir les risques sanitaires et garantir le bien-être de l’animal. Parmi elles : un suivi vétérinaire régulier et rigoureux, un enclos sécurisé d’au moins 400 m², propre et fermé, interdisant tout contact avec d’autres porcs ou sangliers, ainsi que des interactions limitées avec les personnes extérieures. Rillette, doit également être stérilisée et identifiée.
Si ces conditions ne sont pas respectées, le préfet pourra révoquer sa permission.
Le préfet de l’Aube a régularisé la situation de l’animal, tout en affirmant que la détention d’un sanglier doit rester rare puisque sa place est dans la nature.
Cette position peut néanmoins surprendre, sachant que l’élevage de sangliers est une pratique courante en France, notamment pour approvisionner les parcs de chasse (art. R. 413-24, Code de l’environnement). Il est donc légitime de s’interroger sur la différence de traitement entre ces élevages et la détention d’un sanglier recueilli par un particulier.
Lyslou Gailhaguet
Elève-avocate
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