Mortalité piscicole dans l’Escaut, Tereos jugé coupable et condamné pour préjudice écologique

Ecrit par Graziella Dode
23 janvier 2023

Tereos, groupe coopératif sucrier français, a été condamné pour avoir causé la mort de plusieurs tonnes de poissons dans le Nord. Tereos a fait appel de la décision.

Les faits

Dans la nuit du 9 au 10 avril 2020, une digue de l’usine d’Escaudœuvres de la société Tereos a cédé, faute d’entretien. C’est environ 100 000 m3 d’eau de lavage des betteraves sucrières, très pollués, qui se sont déversés dans un cours d’eau sur la commune de Thun-Saint-Martin. Plusieurs cours d’eau ont été touchés, dont la Raperie, l’Erclin et l’Escaut. Dès lors, les cours d’eau ont reçu une quantité très importante de matière organique, dégradée par les bactéries. Les bactéries consomment alors une quantité importante d’oxygène, ayant pour conséquence l’asphyxie de nombreux organismes et la production de substances très toxiques pour la faune aquatique. L’Office Français de la Biodiversité a observé plusieurs mortalités piscicoles sur les différents cours d’eau, estimées entre 50 et 100 tonnes de poissons morts. Certaines espèces étaient protégées et/ou en période de reproduction. Cette pollution affecta 49 kilomètres de l’Escaut du côté français, et 72 kilomètres du côté belge.

Plusieurs condamnations au titre du préjudice écologique

C’est la décision du Tribunal judiciaire de Lille du 12 janvier 2023 n° 21270000146 qui vient condamner la société Tereos à plusieurs millions d’euros. Parmi ces condamnations, la Société Tereos a été condamnée pour préjudice écologique. 

Sur l’action publique : le responsable est poursuivi pour 5 chefs d’accusation : 

  • Déversement par personne morale de substances nuisibles ;
  • Rejet en eau douce ou pisciculture la nuit, par personne morale, de substances nuisibles au poisson ou à sa valeur alimentaire ;
  • Mise en place sans autorisation par personne morale d’une installation ou d’un ouvrage nuisible à l’eau ou au milieu aquatique ;
  • Exploitation sans autorisation par personne morale d’une installation ou d’un ouvrage nuisible à l’eau ou au milieu aquatique ;
  • Exploitation sans autorisation par personne morale d’une installation ayant portée une atteinte grave à la santé ou à la sécurité des personnes ou dégradé substantiellement l’environnement.

Tereos a été condamnée à une amende de 500 000 euros ainsi qu’à la diffusion de la décision dans le journal « Le Monde » et « La Voix du Nord ».

Malheureusement, le Tribunal a estimé ne pas devoir prononcer la peine complémentaire de réparation du dommage causé à l’environnement, prévue à l’article L. 173-5 du Code de l’environnement, une procédure de réparation environnementale étant déjà en cours et la définition du périmètre de cette réparation étant compliquée.

Concernant l’action civile, plusieurs associations se sont vues octroyer des dommages et intérêts. Entre autres, Tereos a été condamnée à payer à la Fédération de pêche 96.375 euros au titre du préjudice écologique, 5.000 euros au titre du préjudice moral et 31.899,50 euros de préjudice matériel. Concernant  la Ligue pour la Protection des Oiseaux et l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages, elles se sont vues octroyer 10.000 euros chacune.

La région Wallonne est la partie civile à avoir été le plus indemnisée. Le préjudice matériel a été fixé à la somme de 129.688,27 euros, le préjudice moral à 50.000 euros et le préjudice écologique fixé à 8.864.515 euros.

La reconnaissance du préjudice écologique

Le Tribunal le rappelle : le préjudice écologique est un « préjudice objectif » distinct des préjudices traditionnellement retenus en droit de la responsabilité fondés sur des intérêts humains. C’est la réparation du préjudice pur, subi par la nature, indépendamment de considérations humaines. C’est ce qui était ressorti de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septemre 2012, n° 10-82.938, dans la célèbre affaire du naufrage de l’Erika, où la Ligue Protectrice des Oiseaux avait obtenu la réparation du préjudice écologique à hauteur de 13 millions d’euros, et qui a amené à la consécration du préjudice écologique par le législateur avec la loi sur la biodiversité du 8 août 2016 aux articles 1246 à 1252 du Code civil.

Dès lors, l’article 1246 du Code civil dispose : « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer. » Néanmoins, quelques freins ont été posés aux articles suivants : l’atteinte doit être « non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. » On peut regretter le dernier élément sur lequel l’atteinte peut porter, c’est-à-dire une atteinte aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement, qui mentionne les intérêts humains, normalement étrangers à la réparation du préjudice écologique. 

L’une des difficultés est l’appréciation au cas par cas par les juges de la notion de « non négligeable ». Cela implique premièrement que les impacts « minimes » ne sont pas réparables, mais également à établir ce qu’est une atteinte non négligeable. Cette dernière est laissée à l’appréciation des juges. Il n’y a pas de méthode, ou de grille de lecture juridique quant à l’appréciation du préjudice écologique. Néanmoins, la doctrine a élaboré une « Nomenclature des préjudices environnementaux » (L. Neyret et G. J. Martin , Nomenclature des préjudices environnementaux », LGDJ, 2012) qui a été appliquée pour la première fois par la Cour d’appel de Nouméa en 2014 (CA Nouméa, Chambre correctionnelle, 25 février 2014, n° 11/00187).

Pour autant, les associations invoquent régulièrement ce préjudice (T. corr. Marseille, 6 mars 2020, n° 18330000441 : braconniers condamnés à verser 350.060 euros au titre de la réparation du préjudice écologique au Parc national des Calanques ; Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 mars 2024, 23-81.410 : valide l’arrêt de la CA d’Aix en Provence qui condamne plusieurs sociétés pour des destructions d’habitat de tortues d’Hermann et les ont condamnées solidairement à payer à l’État 184.752,40 euros au titre du préjudice écologique).

La décision de la Cour d’appel de DOUAI confirmera ou non les condamnations précitées.

Lola JAHAN, Juriste stagiaire

Graziella DODE, Avocate

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