Loi d’Orientation Agricole du 24 mars 2025 : un désastre environnemental ?

Ecrit par Graziella Dode
10 avril 2025

L’agriculture est le deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en France, derrière les transports. Elle est régulièrement critiquée pour ses impacts environnementaux : émissions de méthane, pollution des sols et de l’eau, perte de biodiversité.

Ces critiques ont contribué à créer une opposition entre agriculture et écologie.

Ces dernières années, de nombreux agriculteurs français se sont mobilisés pour exprimer leur mécontentement, notamment face à une surcharge réglementaire. Ils dénoncent des normes européennes et nationales trop nombreuses et trop complexes, estimant qu’elles entravent leur activité. 

En réponse à cette crise agricole, les pouvoirs publics ont engagé des mesures pour simplifier certaines réglementations et soutenir le secteur. Ainsi, une nouvelle Loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, dite Loi d’Orientation Agricole (LOA), a été promulguée ce 24 mars 2025.

La LOA est-elle une avancée nécessaire pour soutenir une filière en difficulté ou une régression majeure en matière de protection de l’environnement ?

Pour comprendre les enjeux de cette Loi, il convient de présenter les dispositions environnementales existantes dans notre législation (I) et d’analyser les conséquences de la LOA sur la protection de l’environnement (II).

  1. Les dispositions environnementales de la Loi d’Orientation Agricole
  • Le cadre juridique national préexistant en matière d’espèces protégées

L’article L.411-1 du Code de l’environnement représente la disposition fondamentale en matière de protection de la biodiversité. Il vise à préserver les espèces sauvages protégées ainsi que leurs habitats naturels. En vertu de cet article, il est interdit, sauf dérogation, de détruire, d’altérer ou de dégrader les habitats naturels ou de porter atteinte aux espèces protégées, qu’il s’agisse d’animaux ou de végétaux.

Cette interdiction a pour but de garantir la survie des espèces en voie de disparition ou vulnérables, en évitant toute action humaine susceptible de compromettre leur reproduction, alimentation ou habitat.

Toutefois, l’article L. 411-2 du même code prévoit des dérogations qui peuvent être accordées, sous certaines conditions, par exemple pour « prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ». Par exemple, les agriculteurs sont autorisés à abattre des loups, bien que cette espèce soit protégée, pour prévenir les dommages sur leurs élevages.

En cas d’infraction aux interdictions énoncées à l’article L.411-1 du Code de l’environnement, des sanctions pénales sont prévues par l’article L.415-3 du même code. 

Jusqu’au 26 mars 2025, cet article prévoyait une amende maximale de 150.000 euros et une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans en cas d’atteinte à la conservation des espèces animales et végétales protégées, à la préservation des habitats naturels, ou encore à la destruction, altération ou dégradation de sites d’intérêt géologique.

La responsabilité pénale des auteurs de ces infractions pouvait être engagée dès lors qu’une atteinte à l’environnement était constatée, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales.

Ainsi, ces  fondements juridiques sont souvent mobilisés pour sanctionner par exemple des coupes illicites d’arbres, l’utilisation non autorisée de pesticides, la destruction d’espèces d’oiseaux protégées …

Ces sanctions sévères encourues avaient pour but d’encourager le respect des normes environnementales et dissuader les comportements destructeurs de l’environnement.

  • L’évolution du cadre juridique en matière d’espèces protégées

La LOA du 24 mars 2025 reconnaît l’agriculture comme un « intérêt général majeur » en ce qu’elle permet de garantir la souveraineté alimentaire de la Nation. En ce sens, elle constitue un « intérêt fondamental de la Nation ».

Ainsi, l’ambition de cette loi est clairement établie. 

Afin de simplifier et sécuriser les activités agricoles, cette loi modifie le régime des sanctions pour atteinte à la biodiversité (art. 31 LOA). En effet, elle établit une distinction entre les atteintes commises de manière intentionnelle et celles qui ne le sont pas.

L’article L. 415-3 du Code de l’environnement prévoit désormais que la peine de 150.000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement est réservée aux atteintes intentionnelles ou résultant d’une négligence grave.

En cas d’atteinte non intentionnelle, une amende administrative de 450 euros maximum sera encourue. Cette amende pourra être remplacée, sauf en cas de récidive, par la réalisation d’un stage de sensibilisation aux enjeux de la protection de l’environnement. Ces dispositions figurent à l’article L.171-7-2 du Code de l’environnement, créé par ladite loi.

Bien que cette évolution vise à sécuriser les agriculteurs, il convient de préciser que ces sanctions allégées ne les concernent pas exclusivement. Elles s’appliquent à tous : industriels, chasseurs, promoteurs immobiliers et autres acteurs.

La LOA introduit par ailleurs de nouvelles mesures portant sur les haies. Désormais, les projets de destruction font l’objet d’une déclaration unique et chaque département doit reconnaître la possibilité de  « travaux d’entretien usuels » échappant par principe à la qualification de  « destruction » (art. 37 LOA).

En outre, la loi dispose qu’il convient de « s’abstenir d’interdire les usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Union européenne », tels que le glyphosate, en l’absence d’autres solutions viables et efficaces. Cela s’apparente à l’application du principe « pas d’interdiction sans solution », mantra de la FNSEA (art. 1 LOA).

Néanmoins, la loi prévoit également des dispositions favorables à l’environnement, comme encourager l’agriculture biologique pour qu’elle atteigne 21 % de la surface cultivée d’ici 2030 (art. 1 LOA).

Il est également intéressant de noter qu’avant sa promulgation, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de la LOA à la Constitution française, par une décision n° 2025-876 DC du 20 mars 2025. A l’issue de cet examen, un tiers de la loi a été modifiée. Les Sages ont opéré une censure partielle ou totale pour des motifs de fond sur 7 articles, et pour des motifs de procédure sur 11 autres articles (violations de la Charte de l’environnement et procédures législatives inadéquates).

Par exemple, une présomption de non-intentionnalité était initialement rédigée prévoyant que certaines atteintes à la biodiversité seraient réputées non-intentionnelles dès lors qu’elles étaient commises pour répondre « à l’exécution d’une obligation légale ou réglementaire ou à des prescriptions prévues par une autorisation administrative ». Le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition contraire au principe de légalité des délits et des peines, en raison de leur imprécision (points 61 à 65 de la décision). 

  1. Les conséquences environnementales de la Loi d’Orientation Agricole
  • Une simplification grave des atteintes à la biodiversité

L’objectif à travers cet allègement des peines était de répondre aux préoccupations des agriculteurs, craignant des sanctions sévères dans l’exercice de leur activité.

Cependant, selon le débat parlementaire, seulement 136 agriculteurs ont été impliqués en 2022 dans une procédure liée au droit de l’environnement et engagée par l’Office Français de la Biodiversité (OFB).

Néanmoins, ce texte ne s’appliquant pas uniquement aux agriculteurs, la difficulté réside dans le fait que toute destruction de la nature devient plus complexe à sanctionner. En effet, elle suppose désormais la démonstration d’un élément intentionnel : l’acte doit avoir été commis de manière volontaire et réfléchie. Or, en pratique, cette intention est difficile à établir.

Par exemple, un chasseur ayant abattu une espèce protégée pourrait invoquer qu’il n’en avait pas l’intention : il visait un pigeon (espèce chassable) mais un chardonneret élégant (espèce protégée) se serait trouvé sur la trajectoire de son tir.

Dans un tel cas, l’élément intentionnel ferait défaut. Il resterait alors la possibilité de démontrer une négligence grave. Toutefois, l’appréciation de cette gravité relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ce sont généralement des négligences simples, telles que les imprudences ou les manquements à une obligation de prudence ou de sécurité, qui sont retenues. Ce deuxième élément ferait également défaut.

Ainsi, dans cet exemple, le chasseur, s’il est identifié, pourrait être condamné à une simple peine de stage de sensibilisation ou, à défaut, à une amende peu dissuasive de 450 euros. 

En rendant plus complexe la répression des atteintes à l’environnement, cette loi menace la protection des écosystèmes français et des espèces protégées.

Pourtant, le déclin de la biodiversité en France est observé. Selon le bilan 1989-2019 publié par la Ligue Protectrice des Oiseaux (LPO), le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et l’OFB, près de 30 % des oiseaux appartenant aux espèces les plus communes ont disparu des campagnes françaises.

Après avoir envisagé la suppression de l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique (Agence Bio), remis en question le rôle des agents de l’OFB, puis adopté cette loi limitant la répression des atteintes à l’environnement, le gouvernement semble atteindre le paroxysme de sa politique en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité.​

  • Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce : l’environnement victime

Il existe en droit pénal le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce qui consiste à appliquer une loi plus clémente à une personne condamnée avant l’adoption de cette loi, même si l’infraction a été commise avant son entrée en vigueur. 

Ce principe est inscrit à l’article 112-1 alinéa 3 du Code pénal qui dispose : 

« Les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ».

Autrement dit, toutes les affaires de destruction de la biodiversité en cours seront jugées à l’aune de la nouvelle rédaction de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement, quand bien même les faits auraient été commis antérieurement à l’adoption de la LOA.

Pour conclure, cette loi semble faciliter les atteintes à l’environnement en réduisant les sanctions et en compliquant l’établissement de la preuve. Toutefois, les agents de l’OFB et les associations de protection de l’environnement continuent de jouer un rôle dans la défense de la biodiversité et pour continuer à sensibiliser les citoyens et les institutions face à l’urgence écologique.

Lyslou Gailhaguet

Elève-avocate

Vous avez besoin de renseignements juridiques, de conseils sur un litige en cours ou à naître :

Contactez votre avocat :

Actualités

Votre avocat vous informe des actualités à ne pas manquer :

Le statut juridique du blaireau 

Le statut juridique du blaireau 

Dire à quelqu’un qu’il est un « blaireau » ne lui fera sûrement pas plaisir.  A l’instar de nombreuses insultes animalières, cette expression repose sur une perception négative et infondée de l’animal qu’elle désigne. Le blaireau n’a rien d’un être maladroit et...

À propos de l’auteur

Votre avocat vous informe des actualités à ne pas manquer :

Graziella Dode

Depuis toujours sensibilisée et engagée dans la cause animale, c’est de manière passionnée que votre avocate s’est engagée en dédiant son activité professionnelle aux animaux et aux professionnels du secteur animalier.

Commentaires

Votre avocat vous informe des actualités à ne pas manquer :

0 commentaires